Eugène Manuel

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Eugène Manuel par Léopold Flameng.

Eugène Manuel (1823-1901) est un poète et homme politique français.

Poèmes populaires, 1872[modifier]

   Nous admirons autant que personne cette grande poésie qu’on pourrait appeler désintéressée, qui, détachant le lecteur des sollicitudes contemporaines, le transporte dans le monde éternellement beau de la rêverie pure, lui donne des jouissances d’un ordre presque abstrait, où la réalité de chaque jour, souvent vulgaire, affligeante, brutale, n’a rien à voir, où l’art le plus exquis s’alimente de sa propre substance, et demeure son unique fin. Les poëtes, sans doute, ont le droit de ne point dater leurs œuvres ; ils dominent parfois le temps et l’espace d’assez haut pour n’être plus que les échos de l’humanité toute entière, répercutés d’âge en âge.
   Aujourd’hui cependant, d’autres devoirs s’imposent aux poëtes, et, sans qu’il soit nécessaire de leur attribuer une mission spéciale, qui pèserait à la modestie de quelques-uns, il est permis d’affirmer que la poésie, comme le théâtre, a une tâche à remplir ; qu’elle doit, de plus en plus, dans ses peinture, être de son temps, s’associer à cette recherche ardente des problèmes de la vie moderne, et ne pas craindre de se hasarder plus avant et plus bas dans l’expression des idées, des passions et des souffrances qui agitent la société démocratique.
  • Poèmes populaires, Eugène Manuel, éd. Michel Lévy frères, 1872, partie Avertissement, p. VI-VII


   Oui, la pauvreté, l’ignorance, le travail pénible, le vice dégradant, l’héroïsme obscur, toutes les inégalités, toutes les détresses et toutes les résignations, voilà le thème de cette poésie nouvelle, où ne manqueront, aux mains de plus habiles, ni les vives images, ni les émotions poignantes, ni les grâces inattendues, ni les puissants contrastes d’ombre et de lumière, ni les sévères enseignements.
   Nouvelle, c’est beaucoup dire. Les poëtes français ou étrangers n’ont pas attendu ce jour pour emprunter des sujets à la vérité populaire, et jeter même un coup d’œil dans ce gouffre dont l’éclair des révolutions permet seul de mesurer la profondeur. Mais ce qui n’était chez la plupart qu’une inspiration passagère, et, chez deux ou trois, que la prescience du génie, peut devenir définitivement une des grandes voies de la poésie contemporaine.
  • Poèmes populaires, Eugène Manuel, éd. Michel Lévy frères, 1872, partie Avertissement, p. VII


   C’est dans cette voie que nous avons essayer d’entrer : nous avons cherché à saisir, dans les destinées des humbles et des petits, la poésie cachée ; nous l’avons trouvée peut-être sur les grands chemins, dans les rues, dans les ateliers, les taudis, les hospices, et aussi dans le fond ténébreux de ces consciences qui n’ont pas encore pris possession d’elles-mêmes. Nous avons écouté les battements de notre cœur, quand une de ces misères trop oubliées s’offrait à nos yeux ; nous avons voulu attester, sous une des formes qui ont nos préférences, des émotions sincères où l’esprit de parti n’a rien à voir ; nous avons obéi à cette voix secrète qui nous disait obstinément : « C’est par là qu’il faut aller ! » et nous nous sommes mis en route avant d’autres, comptant bien que nous serions rejoints par de plus jeunes qui déjà nous suivent, mais prêts à nous arrêter sans regret pour les regarder passer.
  • Poèmes populaires, Eugène Manuel, éd. Michel Lévy frères, 1872, partie Avertissement, p. VII-VIII


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